Antoine Pesle : Dans mes fantasmes musicaux, Hifi Romance correspondait à de l’anglais
Si vous assistez au MaMA Festival & Convention, qui a lieu à Paris jusqu’au vendredi 18 octobre, vous aurez peut-être la chance de voir Antoine Pesle, talent plus que prometteur, jouer sur scène. Ce musicien autodidacte, originaire de Lille, a dévoilé son premier album Hifi Romance (Bête Noire) le 4 octobre dernier. Neuf ans après la sortie de son EP Amour Lemon (2013), c’est un opus tout en douceur et spontanéité qu’il vient de confier au public.
Et si l’on commençait par revenir sur ton parcours ?
J’ai commencé par jouer dans des groupes de musique dans les années 2000, de manière plus ou moins pro. J’étais au clavier. En général, j’étais rarement le chanteur et, pendant toutes ces années, j’étais un peu frustré de ne pas pouvoir écrire mes chansons, les chanter et dire mon truc à moi. En 2011, j’ai rencontré Vincent Thiérion, qui était en train de monter Alpage Records et qui m’a permis de sortir un premier maxi en 2013 [ndlr : l’EP Amour Lemon]. Et donc, ça m’a permis de faire écouter ce que j’avais à dire en solo. J’ai fait mes premiers lives. Ces premiers lives m’ont permis de rencontrer Juliette Armanet au Pop-Up du Label à Paris en 2014. En faisant des concerts à Lille, je rencontre l’équipe du Grand Mix, que je connaissais déjà. On décide de bosser ensemble. Donc, tout s’accorde : j’obtiens les subventions de la P.A.M. [ndlr : la pépinière d’artistes de la Métropole Européenne de Lille], je commence la production du projet de Juliette Armanet. Je suis un peu obligé de mettre mon projet en stand-by. C’était la première fois que je pouvais travailler avec de [tels] moyens économiques et humains. Ça m’a appris plein de trucs de bosser avec Juliette, qui est une autrice-compositrice assez exceptionnelle en France. Et donc, l’album est sorti [ndlr : Petite Amie, Juliette Armanet, 2017, Barclay / Universal]. À la fois enrichi, mais frustré parce que j’avais dû mettre mon projet de côté, j’ai pu m’atteler à la conception de mon petit studio à Lille et à la conception de mon album, qui est sorti la semaine dernière.
Justement, est-ce que tu peux m’en dire un peu plus sur la co-réalisation de Petite Amie avec Marlon B. ?
Juliette était déjà en train de bosser avec lui. Marlon, c’est un gros producteur de la génération au-dessus. C’est un mec qui a enregistré le premier Sinclair. C’est un mec qui a une énergie géniale. Sans lui, l’album ne sonnerait pas pareil. On l’a fait dans son studio, avec son expérience. Moi, j’étais tantôt arrangeur, tantôt producteur. Les casquettes changeaient en fonction des titres, et on a réussi à finir l’album comme ça. C’est quelqu’un qui a une expérience incroyable. Je suis bien loin d’avoir sa dextérité et son professionnalisme. J’apprends à chaque rencontre. C’est surtout une histoire de rencontres, tout ça. On découvre un goût que l’on a en commun avec des gens.
En parlant de ton premier album, on évoque souvent des airs de João Gilberto, des sonorités dream pop à la Connan Mockasin, ou encore des influences nu disco à la Sébastien Tellier, pour n’en citer que quelques-uns. Peux-tu m’en dire plus sur le processus de création de Hifi Romance ? Où puises-tu tes inspirations ?
J’aime bien aller à la campagne et ne rien faire. Et puis, à un moment, il y a un truc qui fait que tu as une mélodie de chant qui arrive. Je l’enregistre sur mon téléphone. Je vois comment elles vieillissent, ces mélodies de chant. Il y en a en lesquelles je crois, qui traversent les années et qui deviennent des chansons. Je commence souvent par les mélodies de chant, puis, j’ai mon cerveau sampler qui a envie que ça sonne comme un vieux McCartney, mais qui aime bien un titre de Mariah Carey, qui a envie qu’il y ait un truc house dedans. Après, on mélange. Les process changent en fonction des chansons, il y a un peu des hasards qui font que ça sonne comme ça.
Aujourd’hui, je suis un peu attentif à ce qui se fait, mais pas trop, parce qu’il y a déjà trop de musiques partout, tout le temps. Je suis parfois attentif à des trucs trap d’aujourd’hui, à des trucs soul des années 60, à des trucs métal des années 70, 80. Je suis un peu curieux de tout. On peut prendre une chanson : Too Much [ndlr : troisième single de l’album] est influencée par une chanson de Lucio Battisti et par La Isla Bonita de Madonna. Ce n’est pas forcément reconnaissable, c’est des espèces de vibes que j’ai, comme ça. De sensations que je veux reproduire. Mais, ces sensations-là ne se retranscrivent pas par un plagiat. Je pense qu’il faut être totalement décomplexé dans le fait de copier les choses. C’est un fantasme de croire que l’on invente la musique.
Pourquoi avoir choisi de sortir un opus en anglais, alors que la nouvelle scène française est actuellement en plein essor ?
Les chansons qui sont sur Hifi Romance, je les ai toujours pensées en anglais. Là, tu vois, j’écris des chansons pour l’album, le prochain album sera en français. Il y aura des trucs en italien, je pense, aussi. J’ai une culture musicale qui est bien plus anglophone que francophone. Dans mes fantasmes musicaux, Hifi Romance correspondait à de l’anglais. Ça s’est fait comme ça. J’ai une grosse culture R’n’B et soul. R’n’B, plus des années 90 que 2000. Mariah Carey ; toute la West Coast… j’adore le rap West Coast, quand il y a des refrains chantés, et toute la soul des années 70.
Et, je ne comprends pas tout à l’anglais. J’aime bien ne pas tout comprendre. Je dis souvent qu’une bonne chanson est une chanson où je n’écoute pas les paroles, que ce soit en français ou en anglais. C’est quelque chose qui me permet d’accéder à un niveau d’entendement entre moi et la chanson. Il y a un truc qui se crée au milieu. Je prends un ou deux mots, ça s’accorde avec une modulation, et, au bout du compte, il se passe un truc.
On ne peut s’empêcher de remarquer une évolution assez marquée entre ton premier EP Amour Lemon (2013) et l’album Hifi Romance (2019).
On va dire que le premier EP correspondait à une énergie que j’avais, à l’époque, de monter sur scène tout seul, donc d’être dans un geste un peu plus frontal, d’envoyer un truc un peu plus dance. Là, je savais, de l’expérience que j’avais eue en studio avec Juliette, que je voulais faire de la musique acoustique. Enregistrer de vraies batteries avec de vrais musiciens. Et puis, chanter des chansons un peu plus calmes. J’en avais marre de cet impératif qu’on avait : aller en concert et se prendre un gros train dans la gueule. J’avais vu Mockasin en concert, et ça joue tellement pas fort, c’est tellement beau parce que c’est fin, parce que c’est tout doux. Et c’est vrai que c’est agréable de voir des mecs dire autre chose qu’un truc viril. Moi, j’avais envie d’être dans un autre geste. Mais, là, on fait des concerts et si on joue à 23 heures, on sait qu’il faut qu’on ait quelque chose d’un peu plus musclé. Mais, oui, je suis content de jouer pas fort, de voir que les gens apprécient les choses un peu douces.
C’est le photographe et vidéaste parisien Andrea Montano qui s’est chargé du visuel de ton album. Son œuvre photographique est marquée par un caractère épuré et “une esthétique pop et universelle”, et il explique notamment que la musique est essentielle dans son travail (il a d’ailleurs collaboré avec Paradis, Moodoïd, Flavien Berger, etc). Comment a-t-il pu retranscrire ta musique et tes inspirations en images, selon toi ?
Il y a pas mal de choses qui étaient possibles, mais c’est encore une histoire de rencontres. C’est quelqu’un qui avait bossé avec Juliette. Ça s’est fait comme ça. Je lui ai envoyé mon album, il a kiffé. On s’est rencontrés, on a eu des idées. Quand j’ai vu son travail, je me suis dit : « il n’y a pas d’accessoirisation, il y a quelque chose de simple, il y a un confort visuel plastique qui est assez plaisant ». Il ne rationalise rien. Il voit une pomme, il trouve ça beau, donc il y va. Il y met tout son coeur. Il y a une spontanéité chez Andrea qui est similaire à la mienne, finalement.
Tu as sorti trois clips cette année Latence, que tu as co-réalisé avec Jérôme Gossaert ; Close to You, co-réalisé avec l’artiste-plasticienne et performeuse Maria Montesi ; Too Much, co-réalisé par Arnaud Romano et Lorella Marques. Pourquoi vouloir t’impliquer dans la réalisation de tes clips ?
C’est compliqué, la vidéo. Moi, j’ai envie de me mettre en scène pour me sentir pleinement impliqué dans le projet. C’est laborieux. Je n’ai aucune dextérité technique là-dedans, mais j’ai un goût pour le visuel, comme tous les gens de ma génération. On a grandi avec tellement d’images que tout le monde a une expertise là-dessus, ce qui est à la fois fatigant et génial. Les clips, c’est quelque chose de long à faire. Ca nécessite tellement de moyens. C’est dur de conjuguer peu de moyens et exigence. Mais, j’ai le goût de le faire.
On te retrouvera sur la scène du Cuba Café à Paris, ce mercredi 16 octobre, dans le cadre du MaMA Convention & Festival. On imagine que tu as apporté des modifications à ton live, par rapport aux titres enregistrés sur l’album.
Oui. Même si les gars avec qui je suis sur scène sont, en grande partie, les gens avec qui j’ai enregistré mon disque, mais j’essaye de ne pas trop faire le dictateur. Je les laisse exprimer ce qu’ils veulent exprimer. J’essaye de ne pas trop prédéterminer comment ça doit sonner. Et de ne pas avoir d’ordinateur qui balance des bandes, pour ne pas toujours avoir le même concert tous les soirs. Sinon, en dix concerts, tu as tout dit.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Pouvoir jouer le plus possible les chansons sur scène avec mes potes et réussir à trouver du temps pour faire l’album qui suit, assez rapidement. J’ai envie d’écrire. Et puis de l’insouciance et de la tendresse.
Et nous, on lui souhaite de toujours pouvoir rester spontané.
Propos recueillis par Laura Gervois
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